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Schoendoerffer : un livre pour le dire

Alors que le cinéaste Pierre Schoendoerffer vient de mourir (14 mars dernier), Bénédicte Chéron, diplômée de Sciences-Po et docteur en Histoire, publie un livre qui lui est consacré.

1/ Pourquoi une thèse sur le cinéma de Pierre Schoendoerffer ?

Cette œuvre occupe une place particulière, très originale, dans le paysage cinématographique français. D’abord parce que les films et les livres de Pierre Schoendoerffer, sans être exclusivement consacrés à la guerre, la prennent comme prétexte et cadre des aventures de ses héros. Or, le cinéma français se penche peu sur les sujets guerriers. Par ailleurs, cet écrivain-cinéaste se saisit d’une période dans sa globalité, de 1945 à l’après-décolonisation, du destin d’une génération de militaires et de jeunes officiers. Il livre sur eux non pas des mémoires ou un récit à prétention historique mais une œuvre de fiction et de création. En cela, il bâtit des représentations qui alimentent un imaginaire sur cette période alors qu’aucun récit national n’émerge vraiment. Il me semblait donc opportun que le travail de l’historien se saisisse de cette œuvre, d’abord pour raconter l’aventure qui a permis sa fabrication mais aussi pour en décrypter les tenants et les aboutissants, pour analyser son impact sur une mémoire nationale en souffrance.

2/ Comment êtes-vous arrivée à cette œuvre ?

Le chemin est d’abord passé par une curiosité pour l’Asie du Sud-Est, sans doute bien empreinte – au début – de quelques clichés exotiques sur cette région fascinante par son histoire et sa situation actuelle. Or, très peu d’artistes français ont élaboré une œuvre pérenne et globale qui montre l’histoire récente du Vietnam, du Laos et du Cambodge. Ainsi arrive-t-on naturellement aux films et aux livres de Pierre Schoendoerffer et y découvre-t-on quelque chose de plus vaste encore.

3/ Son œuvre cinématographique mélange fiction et histoire (très) contemporaine. Comment se situait-il par rapport aux grands drames qu’il a traités (Indochine, Algérie) ?

Pierre Schoendoerffer n’était pas dans une démarche politique mais bien dans une démarche sensible. Ce qui l’intéresse dans son œuvre, ce sont les destins humains. Il a connu les combattants français de la guerre d’Indochine comme cameraman des armées de 1952 à 1954. Ces deux ans ont été pour lui des années fondatrices : cette guerre fut sa grande épreuve initiatique, il y est devenu adulte, en voyant mourir à ses côtés de jeunes hommes déjà chefs et en traversant l’épreuve de la captivité après Dîen Bîen Phu. Il a avec la guerre d’Algérie un rapport plus distant : il y tourne quelques reportages mais n’en est pas un acteur, ses amis y sont engagés mais il n’est pas confronté à leurs choix tragiques. Pierre Schoendoerffer ne cherche pas à dire si la décolonisation fut une bonne ou une mauvaise chose, il porte peu de jugement sur ce processus historique. Il s’attache à essayer de faire sentir, plus encore que comprendre, ce qu’à vécu cette génération de soldats, en particulier de lieutenants et de capitaine. Il replace aussi ces guerres dans un contexte plus large, de l’aventure et du voyage. Marqué par la littérature du grand large, pas Kessel et Conrad notamment, il voulait d’abord être marin (et il le fut avant de partir en Indochine). Pour lui, la guerre n’est, pour ses héros, qu’un cadre paroxystique d’exercice des vertus. La guerre est un passage mais elle n’est pas le tout de sa création.

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